Le Pèlerin...
sur la Voie de l'Initiation
et de l'Individuation

" Celui-là ne se détourne pas de sa route qui s'est fixé à une étoile. "
Léonard de Vinci

 

Les tapisseries de La Chasse offre trois sortes de voyage :
— le voyage intérieur du pèlerin, à la rencontre de soi-même
— le voyage dans l'espace le long de la rivière, à la rencontre de la nature, de sa faune et de sa flore, à la rencontre de la ville des humains
— le voyage dans le temps à la rencontre de ses ancêtres

La monstration de La Passion christique à travers la chasse à la licorne se double de la représentation du processus d'individuation d'un homme.

Le cheminement de ce personnage au premier plan est aussi celui du héros ou du chaman en cours d'initiation qui commence à la tapisserie 3 son processus d'individuation dans l'isolement le plus complet.

Aucun critique ne tient compte de ce personnage qui apparaît quand même trois fois dans une position centrale au premier plan ! Les reconstitutions de la tapisserie incomplète ne le dessinent pas. Pourquoi cette absence difficilement explicable ?

Son regard levé et les traits de son visage dénotent un état d'extase propice aux sollicitations de l'inconscient. Dans la tapisserie suivante, le visage apparaît serein. L'extase semble renaître sur son visage dans la tapisserie 6 où se clôt sa quête.

Les quatre premières tapisseries montrent un monde essentiellement masculin, comme si toute Féminité était exclue. Le héros a pour mission de rétablir la présence de la Femme dans ce monde exclusif de seigneurs et de chasseurs tout puissants et cruels. Son Anima sera son guide et sa médiatrice vers la réalisation de son Soi, la Totalité de son être, dans l'union des contraires (la conjonctio oppositorum) que représente la partie inférieure droite de la tapisserie 6, par l'intermédiaire du couple royal et du cercle en filigrane.

[L'anima (du latin anima " souffle, âme ", d'où vient le terme "animal") est, dans la psychologie analytique du psychiatre suisse Carl Gustav Jung, la représentation féminine au sein de l'imaginaire de l'homme. Il s'agit d'un archétype, donc d'une formation de l'inconscient collectif, qui a son pendant chez la femme sous le nom d'animus.]

Une frontière aquatique symbolique (retour aux eaux originelles) l'isole du monde extérieur, celui du Conscient. La Femme est reléguée dans l'Autre Monde, dans l'Inconscient collectif et individuel ; il lui faudra aller la chercher et la ramener dans le monde du Conscient, pour réconcilier chacun avec son Soi et chaque membre de la société avec cette société régénérée.

Le pont de la tapisserie 3 indique nettement le caractère initiatique de cette quête. Pour atteindre l'Autre-Monde, il lui faut vaincre la part d'Ombre qui l'habite encore et qui obscurcit l'esprit de tous les autres. Cette Ombre est représentée par le chasseur qui se tient sur le pont, Lucifer-Satan au corps désarticulé, qui traque et menace frontalement l'Anima que représente la blanche licorne.

Ce personnage reprend l'attitude d'un de ceux qui conduisent le Christ sur son chemin de croix dans le panneau de la scène du Portement de croix d’après les cartons du Maître des Très petites Heures d’Anne de Bretagne, seul vestige du cycle de la Passion qui emplissait les baies de la chapelle de l’Hôtel de Cluny, vers 1500.

Le musée indique : « Ce panneau de vitrail représente un des épisodes de la Passion du Christ précédant la Crucifixion. Le vitrail se trouvait dans une baie de la chapelle de l’hôtel de Cluny vers 1500. Il est possible que Jacques d’Amboise, abbé de Cluny, ait commandé cette composition à l’un des ateliers les plus réputés de la capitale, à qui revient aussi le dessin de la Dame à la Licorne. Le peintre verrier fait preuve d’une technique virtuose. Il maîtrise parfaitement l’usage de la grisaille et du jaune d’argent. Il soigne les détails des personnages comme le révèlent le pourpoint clouté et l’épaulette du garde au premier plan. Entré dans les collections en 1834. »

Nous aurions aimé connaître dans son intégrité la tapisserie 5 où apparaissent les premières figures féminines du récit tissé.

Des épreuves à caractère sexuel sont présentées sous forme métaphorique dans les tapisseries 2, 3, 4 et 5, liées aux pulsions de l'inconscient où l'anima du héros apparaît tantôt positive, tantôt négative et violente. La licorne est soumise successivement à des épreuves soit valorisantes (tapisseries 2 et 3), soit humiliantes (tapisseries 4 et 5). Les auteurs de ces actes de violence à forte tonalité érotique sont l'Ombre du héros, sa part fantasmatique. Il doit combattre et vaincre lui-même et cette pulsion sexuelle instinctive, et le comportement violent et phallocratique des hommes, seigneurs et chasseurs, que son Ombre, son double noir, lui révèle. Cette lutte intérieure provoque de " profondes blessures " comme les plaies (légendaires stigmates christiques) que le corps de la licorne montre. A lui de passer son chemin, impassible, son anima positive le guidant de plus en plus sûrement dans son individuation.

 

Il devra traverser des déserts, véritables et psychiques (que réprésentent ces grandes étendues sans végétation)

 

Les tapisseries révèlent les (trois ?) épreuves auxquelles sont soumis (comme traditionnellement dans les récits héroïques) à la fois la licorne et par identification, le héros.

Des princes aux visages engageants, conscients des atrocités qui se jouent autour d'eux, sont les figurations des Sages qui voudraient protéger l'anima-licorne des atteintes de l'ombre-Lucifer. Ces Sages, que le roi de la tapisserie 6 subsume, sont des projections du Soi ; ils désignent la voie de l'équilibre psychique, individuel et collectif ; ils révèlent qu'il faut réfréner les ardeurs du " Malin " (les pulsions instinctives), et donner à la Féminité, à l'anima, sa juste place dans l'être humain masculin.

Notre héros se doit de marcher encore et encore car il n'est pas parvenu au terme de son ascèse : il lui reste à parcourir un long chemin sur la voie de la Connaissance pour réussir définitivement sa quête, pour lui et pour la collectivité des humains. Une dernière épreuve l'attend : la mort, avant la résurrection et la libération des captifs de l'Au-delà que la foule qui passe sous l'arche signifie.

La quête arrive à son terme. Le couple animus-anima est uni dans une hiérogamie amoureuse active et offre à nos yeux la conjonctio oppositorum, condition de la réalisation du Soi. Le couple royal est à regarder comme l'Androgyne primordial qui veut prouver la régénération collective et son retour à l'équilibre.

" Le secret n'a nul besoin d'être voilé, il l'est par essence et par définition. Il est en chacun de nous, " caché aux riches et aux savants et révélé aux petits ". Il est individuel, en ce sens qu'étant expérience intime, il est intransmissible, chacun devant en faire l'expérience pour son propre compte. II est en même temps le bien de tous, puisque tout être peut accéder à sa propre vérité. Sa propagation ne dépend pas d'une volonté individuelle ou de moyens extérieurs, ces derniers pouvant tout au plus mettre sur la voie et provoquer le désir d entrer dans la quête. Mais celui qui vit sa propre vérité agit de façon juste et devient, même sans le vouloir et parfois sans le savoir, la source d'un rayonnement qui agit sur ceux qui l'approchent. (Note du traducteur 9, p. 185) Dans Marie-Louise von Franz, L'Ombre et le mal dans les contes de fées, La Fontaine de Pierre, 1980. Traduction de Francine Saint René Taillandier.

La chambre d'amour sera le verger de la tapisserie 7 où la sérénité de la licorne est le résultat de l'Union mystique, la réalisation de l'Un primordial, cette fusion d'où naît l'extase liée à l'accès de l'Initié à la Connaissance du Tout. Le héros - marcheur est devenu Dieu.

C'est dans la septième tapisserie (le chiffre 7 symbolise la totalité humaine et la perfection ; 7 est aussi le nombre de l'Androgyne hermétique et du cycle accompli) que la sérénité complète est atteinte.

 

Ainsi, le peintre aura signifié le rôle de modèle de son héros ; sa présence au plus près de nous sur les tapisseries souligne la haute valeur symbolique, personnelle et sociale, de son comportement et de sa quête. La régénération de l'individu et de la société ne peut s'accomplir qu'en redonnant à la Féminité sa place centrale essentielle.

Dans une lecture qui doit beaucoup à Carl Gustav Jung et que je voudrais tirer vers René Girard, l'ombre a été définitivement intégrée et son aspect négatif détruit, tant dans les contenus de l'inconscient individuel que de l'inconscient collectif. La Féminité, source vitale de régénération et porte d'accès à la Connaissance du Tout, a retrouvé sa place. Le bouc émissaire n'a plus raison d'être dans cette société humaine nouvelle.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Anima

 

 

Royauté

Un beau matin, chez un peuple fort doux, un homme et une femme superbes criaient sur la place publique. " Mes amis, je veux qu'elle soit reine ! " " Je veux être reine ! " Elle riait et tremblait. Il parlait aux amis de révélation, d'épreuve terminée. Ils se pâmaient l'un contre l'autre.
En effet ils furent rois toute une matinée où les tentures carminées se relevèrent sur les maisons, et toute l'après-midi, où ils s'avancèrent du côté des jardins de palmes.

Arthur Rimbaud, Illuminations

 

 

Texte Le pèlerinage de vie humaine :

Paule Amblard, Le Pèlerinage de Vie Humaine. Le Songe très chrétien de l’abbé Guillaume de Digulleville, Flammarion, 1998.

http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/50/20/99/PDF/VieHumaine.pdf

http://expositions.bnf.fr/utopie/feuill/feuille6/dindex1.htm

http://jessehurlbut.net/wp/mssart/?p=6781

Inspiré par le Roman de la Rose, Guillaume de Digulleville, cistercien de Chaalis, reprend à son compte dans son Pèlerinage de vie humaine le thème littéraire du songe, qu'il développe en suivant une veine allégorique chère au Moyen Age.

Guillaume prétend avoir reçu la vision de la Jérusalem céleste, et de ceux qui en obtiennent l'entrée. Ses treize mille vers narrent, avec beaucoup de vie et parfois de réalisme, le cheminement du chrétien partagé entre la séduction des vices et celle des vertus.

Voué à un vif succès, comme bien des textes de dévotion en langue vernaculaire, le texte connut une large diffusion tant manuscrite qu'imprimée, et fut même l'objet de traductions et de versions en prose. "

 

Pèlerinage de vie humaine, vers 5435-5438 :
(paroles de Raison)

Jhesus, li roy, si est la fin
Où tendent tout bon pelerin.
C'est la fin de bon voiage
Et de bon pelerinage.

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La Moralité de Bien Avisé et Mal Avisé
(avec 59 personnages et environ 8000 octosyllabes,
représentée pour la première fois à Rennes en 1439,
mais date peut-être de la fin du 14è s.).
Vers 1-32 (réplique de Bien Avisé)

Le philosophe nous actrait, [Aristote]
En parlant par dilection,
Que chascun qui est imparfaict
Doit entendre a sa perfection.
Je ne voy proposition
Si naturelle a mon souhait ;
Et en che faisant deduction,
Je le te moustreray de fait.
Nous sçavons bien selon nature
Que une chose est tres parfaitte
A qui humaine creature
Doibt tendre, qui est imparfaitte.
Car nous voyons entierement
Touttez chosez aller a declin,
Et que tout naturellement
Tousjours tendons a nostre fin.
Toudis sommes en mouvemens,
II n'y faut ja mettre grand-chose ;
Regardez les quattre elemens
De quoi nulluy ne se repose :
L'air, le feu, la mer et la terre
Se meuvent et vont leur chemin.
Chascun d'eux queurt et va grant erre
Tousjours en tendant a sa fin.
Pour tant povons veoir de fait,
Quand telz chosez sont imparfaittes,
Qu'il y a aulcun tres parfait
Qui toutez ches chosez a faittes ;
C'est nostre sauveur Jhesucrist,
[…]
A qui chascun de nous doibt tendre.

 

Voici un texte très important pour notre " lecture " de La Chasse. Il évoque remarquablement la " pérégrination spirituelle " que le renouveau de l'ars meditandi dans les années qui nous intéressent a certainement divulgué chez notre artiste.

Anne-Elisabeth Spica, " L'emblématique de dévotion, une héritière indirecte des Pèlerinages spirituels allégoriques de Guillaume de Diguleville ", pp 53-77. dans Guillaume de Diguleville. Les Pèlerinages allégoriques, sous la direction de Frédéric DUVAL et Fabienne POMEL, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Collection Interférences, 2008, 490 p.
[On appelle du nom d'emblématique un ensemble manuscrit ou imprimé composé selon le principe suivant : sur la page de gauche, un titre, aussi appelé inscription ou motto, surmonte une gravure - ou un dessin - dont les éléments visuels sont disposés de manière à raconter la scène…]


" Une formule réinventée

" Le succès des Pèlerinages de Guillaume est lié à sa qualité particulièrement plastique, susceptible de nombreuses réactivations. Il en est une capitale : au tournant des XVIe et XVIIe siècles, l'invention de Guillaume va se trouver combinée avec l'autre grand phénomène en littérature médiévale de spiritualité, le renouveau de l'ars meditandi.

 

" Le modèle digullevillien

" La spiritualité cistercienne est particulièrement familière de l'expression de la vie en Dieu sous le forme métaphorique du voyage militant, combattant, vers Dieu, inscrite dès le préambule à la Règle de saint Benoît, comme elle est familière de l'idée, très présente chez saint Bernard, que l'homme est en exil et en pèlerinage sur terre et qu'il ne peut trouver sa pleine satisfaction que dans son effort pour s'unir à Dieu.

L'originalité de Guillaume de Digulleville est d'avoir le premier associé les expressions évangéliques du bivium (Matthieu 7, 13) et de l'homo viator (Hébreux 11), ainsi que ces grands traits de la spiritualité cistercienne, à une fiction narrative qui fait se succéder les épisodes d'un voyage allégorique destiné à faire entendre ce que doit être la vie convertie en Dieu. En l'occurrence, une narration allégorique dont les structures et les modalités - le songe, le bivium, les interventions allégoriques, l'alternance description-commentaire explicatif... - sont explicitement empruntées à un best-seller qui a fait ses preuves auprès du public, le Roman de la rose cité à l'incipit du Pèlerinage de vie humaine.

Guillaume a configuré un genre, celui du pèlerinage spirituel, en particulier le pèlerinage de la vie humaine indentifiable grâce aux structures récurrentes listées par Siegfried Wenzel, auquel il a adjoint le principe d'une illustration : Michael Camille a bien montré dans sa thèse l'articulation voulue par le cistercien entre le texte et les images. "


" Les inflexions de l'ars meditandi

" La comparaison de la vie spirituelle avec un cheminement innerve aussi une autre tradition, celle des modes de méditation tels que saint Bonaventure les a redéfinis un siècle avant Guillaume, entre ascétique et mystique, dans l'Itinerarium mentis in Deum et le De triplici Via.

[" Il est donc nécessaire pour atteindre la paix, la vérité et la charité, de s'élever comme par trois degrés selon la triple voie, la voie purgative qui consiste dans l'éloignement du péché, la voie illuminative qui consiste dans l'imitation du Christ, la voie unitive qui consiste dans l'accueil de l'Époux. […] chaque voie possède ses degrés par lesquels en partant d'en-bas on parvient au sommet " (Saint Bonaventure, La Triple voie, De triplici Via - composée après 1259.]

" Certes, emprunter successivement les voies purgative, illuminative et unitive ne relève en aucun cas du récit fictionnel, même si d'emblée Bonaventure, et toute la tradition franciscaine avant et après lui, insiste sur l'importance de l'imagination et de la représentation mentale dans la configuration des étapes de la méditation - à ce titre, les Méditationes de Vita Christi du Pseudo-Bonaventure ont un rôle capital.

L'itinéraire est celui d'une âme sur la voie de la conversion, qui se tourne d'abord vers le " vestige " de Dieu dans la créature et le monde sensible, puis en entrant en soi-même fait usage de ses puissances pour découvrir l'action personnelle de Dieu recréant l'être surnaturel du méditant ; voilà qui conduit, dans un mouvement indissociable de l'imitation du Christ, au face à face avec Dieu.

 

Le parallèle entre méditation et pérégrination

Francesca-Yvonne Caroutch, Le Mystère de la licorne, Dervy, 1997.

« L’alchimiste, célébrant le mariage du soufre et du mercure, parfait son androgynie intérieure. » (p. 196)

 

« La voie de la non-dualité, qui réconcilie les éléments adverses et transmute la guerre en amour, véhicule des traditions très anciennes. Elle passe par le « combat » familial d'Arjuna, dans la Bhagavad-Gita, la Voie du Milieu des bouddhistes, comme les disciplines intérieures des plus grands courants spirituels d'Orient et d'Occident.

La quête de l'androgynie spirituelle occupe une place essentielle dans les écritures sacrées. Selon les textes hébraïques, Adam-Kadmon, l'Adam céleste, est mâle du côté droit et femelle du côté gauche. L’adepte, en alchimie, meurt allégoriquement pour renaître, en réunissant en lui ces deux polarités. La base du Grand Œuvre consiste toujours à effectuer la conjonction du soufre et du mercure, du soleil et de la lune, du masculin et du féminin ― Jung nomme les complémentarités anima et animus. Les « noces chymiques » de l'enfant d'Hermès ne diffèrent guère de celles du yogi accomplissant en lui les épousailles du dieu et de la déesse, répondant à celles du Roi et de la Reine de la tradition hermétique. Cette union secrète, réalisée grâce à l'ascèse solitaire ou au couple prédestiné permet de ne plus faire qu'un avec l'harmonie universelle, la grande félicité cosmique. L’ego s'est désintégré dans le grand Soi dilaté à l'infini. Ineffable expérience que ne peut traduire aucun concept ― et encore moins le langage. » (p. 196-197)

 

Selon Francesca-Yvonne Caroutch, les membres de la Voarchadumia, société secrète d’alchimistes, à l’origine mi-byzantine, mi-vénitienne, « pensaient, bien avant Paracelse, que nul ne transmue jamais rien s’il ne s’est déjà transmuté lui-même, en réalisant son androgynie spirituelle (…) Certes, les Voarchadumiens œuvraient dans leurs laboratoires-oratoires, mais leurs enseignements, hautement spirituels, portaient également sur les techniques de transmutation intérieure, parfois proches des méthodes du bouddhisme tantrique ou du taoïsme, destinées à réaliser l’androgynie intérieure. » (p. 206)

 

" L'idée que le chrétien a pour vocation une pérégrination spirituelle, soit au moyen du combat spirituel, soit au moyen de la connaissance de la toute-puissance de Dieu destinée à fortifier son âme, soit au moyen de l'imitation du Christ, est au centre du renouveau spirituel engagé par les mystiques rhénans d'un côté, par la Devotio moderna flamande de l'autre. Sans doute ce renouveau est-il lié à la réorganisation de l'intériorité, moins thomiste et appuyée sur les facultés de l'âme, qu'augustinienne et néoplatonicienne, appuyée sur les trois modes d'être de l'âme (anima, spiritus et mens), hiérarchisés dans une progression vers Dieu : on songera par exemple à leur énoncé chez Tauler sous la forme des trois hommes, l'homo bestialis, spiritualis et deiformis.

" Entre mystique et ascétique, la méditation méthodique, par grades successifs, des fins dernières et de la vie du Christ telle que la promeut la Devotio moderna, se rapproche du pèlerinage spirituel. Ici encore, le rapprochement ne ressortit pas à la mise en fiction allégorique, mais à l'articulation entre une progression spirituelle de l'âme et l'identification des étapes qui y conduisent, elles-mêmes mises en miroir de la pérégrination du Christ sur cette terre pour le salut des hommes, qu'il convient d'imiter en conformant sa vie spirituelle à ce double niveau d'étapes :

— méditer, c'est franchir par l'ascèse de l'oraison mentale les étapes successives de l'approfondissement de la vie en Dieu, c'est accomplir en esprit le voyage qui conduit à l'union à Dieu :

— méditer, c'est marcher sur les pas du Christ et l'imiter, de même que conformer sa vie à celle du Christ, c'est s'engager en pèlerin de Dieu sur cette terre.

Outre la floraison massive d'exercices spirituels aux XIVe et XVe siècles, toute une série de textes actualisent et systématisent la métaphore de la pérégrination, en compagnie du Christ, comme image didactique de la progression ascétique : des " best-sellers " comme l'Imitation de Jésus-Christ composée dans les milieux de la Devotio moderna au XVe siècle ou la Vita Christi du chartreux Ludolphe de Chartres.

A ces textes, s'ajoutent au début du XVIe siècle les éditions de Johannes Tauler par Pierre Canisius (1543), sur le point d'entrer chez les jésuites, et sa traduction par Surius (1548) qui diffusent depuis la chartreuse de Cologne la mystique du dominicain strasbourgeois appuyée elle aussi sur l'idée, d'inspiration eckhartienne et néoplatonicienne, mais aussi bernardienne, d'un triple itinéraire vers Dieu.

" À l'aube du XVIe siècle, la méditation se comprend donc et s'exerce sous les espèces d'un itinéraire spirituel. Elle " a sa rhétorique propre, qui n'est pas celle de la persuasion ; fuyant la discursivité au moyen de l'imprégnation, [sa] progression [relève] non pas d'un raisonnement mais d'un itinéraire, épousant la complexité de la vie. Elle ne tend pas à produire l'adhésion de l'intelligence, mais la transformation de tout l'être ".

L'idée que l'expression tout entière de la spiritualité a partie liée avec la métaphore du voyage d'une vie est elle aussi de plus en plus prégnante, en lien évident avec la topicité du pèlerinage spirituel : avec la Devotio moderna se diffuse largement une littérature qui met moins en scènes le dogme que l'expérience ascétique sous la forme de l'autobiographie spirituelle qui évoque les errances, les déceptions et les profits du pèlerinage sur terre, en plein essor à la fin du Moyen Âge.

" Le texte où se nouent ces différentes orientations est sans nul doute les Exercices spirituels d'Ignace de Loyola, le fondateur de la Compagnie de Jésus.

 

Les Exercices spirituels d'Ignace de Loyola

" Le gentilhomme basque, grièvement blessé à la bataille de Pampelune en 1521, lut pendant sa très longue convalescence les traductions castillanes des trois livres qui déterminèrent sa conversion, la Vita Christi de Ludolphe de Saxe, la Flos sanctorum et l'Imitation de Jésus dans la traduction castillane appelée Gerçonzito ; ces lectures nourrirent la composition des Exercices spirituels engagée pendant la retraite à Manrèse entre 1522 et 1523.

Cet ouvrage, dans lequel Ignace synthétise de manière extrêmement condensée la pratique ascétique antérieure, est organisé de manière à la fois à suivre l'itinéraire de la vie du Christ et à proposer au méditant un combat spirituel — la fameuse méditation des deux étendards — qui en fait métaphoriquement un soldat du Christ, capable de s'engager dans l'Eglise militante.

De même que la métaphore du pèlerinage sous-tend l'Autobiographie, la comparaison avec le voyage du cheminement en Dieu sous-tend la deuxième semaine des Exercices. Le méditant est invité à s'engager simultanément dans un double pèlerinage au fil des quatre semaines selon lesquelles Ignace organise la pratique ascétique :

— le premier, sur le modèle de l'imitation de Jésus-Christ, le conduit à intérioriser la vie du Fils de Dieu, de l'Incarnation à la Passion ;

— le second, sur le modèle de l'itinéraire d'une vie humaine, le conduit du renoncement au péché en contemplant l'enfer (c'est la première méditation de la première semaine), à l'union avec Dieu à l'issue du combat spirituel mené contre les péchés et le vice. "

 

Voilà pourquoi le pèlerin de La Chasse

porte une épée.

Pour la tradition chrétienne, le croyant est un guerrier.

Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir tenir ferme contre les ruses du diable. […] Tenez donc ferme : ayez à vos reins la vérité pour ceinture ; revêtez la cuirasse de la justice ; mettez pour chaussure à vos pieds le zèle que donne l'Évangile de paix ; prenez par-dessus tout cela le bouclier de la foi, avec lequel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du malin ; prenez aussi le casque du salut, et l'épée de l'Esprit, qui est la parole de Dieu. (Paul, Épître aux Éphésiens6 :11-17)

Le croyant doit mener le combat " contre les ruses du diable ", un combat intérieur contre ses pulsions, ses instincts, ses désirs. Cette lutte est menée, par notre pèlerin de la rive, avec des armes symboliques.

La rencontre avec Satan symbolise la tentation de l’homme. Dans l’étymologie hébraïque, il désigne l’adversaire, celui qui s’oppose à Dieu (cf. Job, 1, 6)

Paracelse (1493-1541), contemporain de Jean Perréal, portait au côté une épée dont il ne se séparait jamais. Il la nommait son Azoth et son pommeau aurait contenu l’Émeraude des Sages ou Pierre d’Hermès ou encore Émeraude alchimique, tombée du ciel du front de Lucifer.

Il porte aussi un cor. « Rien ne ressemble plus à la voix humaine que ce son aux modulations méditatives, aux harmoniques qui excèdent de tant d’évidente nostalgie, de tant de mystérieuse douleur, les significations dont elles subissent le joug. D’instinct on ressent que ce cor qui, là-bas dans l’inconnu, est contraint de suivre la chasse à courre, c’est notre être même, soumis comme nous sommes à d’étranges fatalités et aspirant à la délivrance. » Yves Bonnefoy, Le Graal sans la légende, Galilée, 2013, p. 97.

La permanence comme un avènement de chaque instant. Eaux mêlées du fleuve et de ton regard. Sable intime.
Pèlerin du fleuve, penses-tu.

Et tu es homme, tel que tu te sais. Te manquent l'espace et la durée pour façonner tes îles. Pour te sentir chez toi dans ta propre terre. Dans ton propre lit.

Alain Naud, La Maison du vent, éd. Rougerie, 1997

 

" Ne sommes-nous pas tous en pèlerinage en ce pays où notre Sauveur Jésus-Christ nous a précédés ? […] Le grand Phébus même, le dieu du soleil, ne traverse-t-il as, jour après jour, toute l'étendue du vaste ciel ? Le cœur de l'homme bat et palpite dans sa poitrine de la première heure de sa vie à la dernière. […] Le marchand ambulant ne va-t-il pas, par terre et par mer, jusque dans les contrées les plus lointaines pour vendre ses marchandises ? Mais combien plus précieuses sont la connaissance et la science, qui sont marchandises de l'esprit. […] Et c'est pourquoi je conçus le dessein de faire comme le monde entier et de partir en pèlerinage là où je découvrirais l'extraordinaire Phénix (le lapis), ce qui serait pour moi plein d'intérêt, d'agrément, digne et infiniment bénéfique."

Michel Maier, Secreta Chymiae, Die Geheimnisse der Alchemie, in : Museum Hermeticum, Francfort, 1678.

 

Il faut insister sur le rôle ambivalent de la lance. Maléfique, elle est signe de mort : elle perce la flanc de la licorne christique en haut à gauche et fait couler l'eau et la sang dans la corne et elle représente la croix portée par saint Louis en bas à gauche.
Bénéfique, elle est instrument de rédemption et de connaissance en bas au centre quand elle est portée par le pèlerin tout au long de son dangereux (caractère qui explique l'épée portée au côté) parcours initiatique (à comparer avec le cortège du Perceval). A son retour en Occident, elle est cause de " miracles thérapeutiques ". L'Initié, à son tour, lui aussi, est apte désormais à initier, à " guérir " mieux que ne l'a fait Perceval auprès du Roi Pêcheur " méhaigné " blessé par une lance.

La présence conjointe au centre de la tapisserie à la verticale du pèlerin initié des colombes et des cygnes sont peut-être à lire comme la présence du Saint-Esprit (la chapelle bleue serait la Sainte-Chapelle parisienne) venant confirmer la Perfectio (la " Nature Parfaite ") de notre pèlerin (Perréalin) et du cygne de la mort (qu'une légende évoque et que Socrate aurait rappelée au moment de mourir, selon le Phédon de Platon).

Dominique Zahan (Sociétés d'initiation bambara, Mouton, 1960) relève chez les Fôn l'inversion de l'utilisation des mains droite/gauche chez l'initié : " la position du reclus (l'initié)... est inversée par rapport à celle du profane ". Regardons bien : le pèlerin tient sa lance de la main droite au début de son initiation sauf dans la sixième tapisserie où elle passe en main gauche.

Ainsi, ne peuvent en aucun cas être séparées dans nos lectures de La Chasse " la Passion christique " et " l'Initiation " que la lance et le graal incorporent en une même " quête ".

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Le pèlerin arrive au confluent de deux cours d'eau.

Celui qu'il suit va recevoir les eaux d'un autre qui vient de sa gauche et que la licorne traverse.
Comme elle, le pèlerin va se trouver gêner dans sa marche qui en devient périlleuse.
Tous les deux, licorne et pèlerin doivent affronter les morsures des chiens et des lances. Deux êtres " maléfiques " leur barrent le passage et les menacent directement : le chien à queue noire au point de confluence même et le chasseur sur la passerelle de bois.
Danger physique pour la licorne, danger psychique pour le pèlerin qui peut être tenté par Lucifer.
Parvenu au bivium, à cette fourche patibulaire de son périple, le pèlerin saura-t-il emprunter la bonne voie ? Celle " rectiligne " descendant la rivière, jusqu'à " l'humanité " de la ville habitée qui l'accueille.

Le " choix d'Hercule " dont l'origine remonte au sophiste Prodicos de Céos via les Mémorables de Xénophon (livre 2, chapitre I, paragraphes 21-34) entre Dame Vertu et Dame Volupté, est repris par le Y pythagorique, symbole du choix entre deux voies. La voie de gauche, voie large et facile, conduit aux vices, donc à la mort dans l'optique eschatologique d'Isidore de Séville. Celle de droite, étroite et difficile, mène aux vertus, et donc à la vie éternelle. A chacune et à chacun de choisir de quelle manière user de ses cinq sens !

Mais il a bien rencontré les trois sortes d'hommes : l'homo bestialis, spiritualis et deiformis.

Il a bien suivi les préceptes que Saint Bonaventure énonce dans La Triple voie, De triplici Via - composée après 1259 : " Il est donc nécessaire pour atteindre la paix, la vérité et la charité, de s'élever comme par trois degrés selon la triple voie,

— la voie purgative qui consiste dans l'éloignement du péché,

— la voie illuminative qui consiste dans l'imitation du Christ,

— la voie unitive qui consiste dans l'accueil de l'Époux. […]

— chaque voie possède ses degrés par lesquels en partant d'en-bas on parvient au sommet ".

L'artiste, tout à sa composition, a dû, suivant la Devotio moderna, " méditer ", c'est-à-dire " marcher sur les pas du Christ et l'imiter " ; de même, il a dû " conformer sa vie à celle du Christ ", en s'engageant " en pèlerin de Dieu sur cette terre ".

La Chasse met bien en exergue " l'expérience ascétique sous la forme de l'autobiographie spirituelle qui évoque les errances, les déceptions et les profits du pèlerinage sur terre. "

La Chasse paraît préfigurer Les Exercices spirituels d'Ignace de Loyola et son double pèlerinage.

 

— Le pèlerin (portant le bourdon ; en deçà de la rivière, comme étranger aux scènes représentées, levant la tête vers la Ville devant lui où l'attendent la Lumière, la Sagesse, d'autres Initiés) : Perréal Jehan = Perréali(ea)n (les lettres extrêmes du prénom Jehan qui s'écrivait iehan où le i se lisait j) = Perréalin, mot proche phonétiquement de pèlerin avec inversion des consonnes liquides [r] et [l]. Chacun d'entre nous est, comme pèlerin, toujours " à la quête ".

" L'artiste a cheminé longtemps ; il a erré par les voies fausses et les chemins douteux ; mais sa joie éclate enfin ! Le ruisseau d'eau vive coule à ses pieds ; il sourd, en bouillonnant, du vieux chêne creux… il regarde ondoyer la source limpide dont la vertu dissolvante et l'essence volatile lui sont attestées par un oiseau perché sur l'arbre… Mais quelle est cette Fontaine occulte ? " Fulcanelli, Le Mystère des Cathédrales et l'interprétation ésotérique des symboles hermétiques du grand œuvre, Fayard, 1925.

Ce pèlerinage semble emprunter "la voie sèche" d'un chemin terrestre et "la voie humide" d'une rivière longée. Il est placé dès le début sous le signe de la coquille de Saint-Jacques de Compostelle que touche l'apôtre dans la seconde tapisserie.

 

Le Pèlerin commence sa marche.

Sa jambe droite est encore cachée par un petit grenadier.

Lisons dans l'arbre le symbole de l'unité de la foi, la concorde et la paix ; dans le fruit celui de la plénitude, de l'espoir et de la fertilité ; dans son jus rouge celui du sang du Christ.

 

La rivière que longe notre pèlerin et qu'il ne semble à aucun moment envisager de traverser est certainement la " rivière de la mort ". La chasse à la bête, à la Licorne (La Passion) qui se déroule sur l'autre rive l'évoque très bien. Et le seul passage possible, le pont, est occupé par Lucifer !

La " descente " de la rivière, dans le sens de son courant jusqu'à son embouchure, doit " déboucher " sur le but à atteindre, le port (" arriver à bon port "), " La Terre Promise ", espérée, " la Terre Sainte ", le " Paradis ", la mer ou l'océan et le " sentiment océanique " qui envahit celle ou celui qui y parvient… Une porte à passer, un porche sous lequel passer… après avoir " trépassé ".

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Cathédrale du Puy, chapiteau du cloître : "le Sage indique les deux chemins : celui de la " Voie brève ", du feu, de l'intuition directe ; celui de la " Voie longue ", de l'eau, de l'expérience. L'étoile, le carré et le cercle marquent les trois étapes de l'initiation" (selon Christian Jacq, Le Message des constructeurs de cathédrales, éd. du Rocher, 1980). Ce qui expliquerait sa présence dans seulement trois tapisseries de La Chasse (celle "disloquée" par le feu lui offrant peu de place pour y apparaître).

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Notre pèlerin qui chemine hors des sentiers "battus" par les autres personnages des tapisseries ne ressemble-t-il pas à l'un de ces alchimistes dont parle Jung ?

" Plutôt que de suivre l'Eglise, les alchimistes préféraient la recherche de la connaissance à la vérité que l'on trouve par la foi. " (Carl Gustav Jung, Psychologie et alchimie, p. 52)

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A parcourir avec lui le chemin qui le conduit de la fontaine dans la clairière à la ville où l'attend le " couple royal ", notre pèlerin suit un itinéraire rectiligne, une route droite, plongé dans les pensées d'une " Religion Droite et Pure", laquelle est la seule, selon Ibn'Arabî, à mener à la Vérité.

D'après ce dernier, écrit Michel Vâlsan (L'Islam et la fonction de René Guénon, Ed. de l'Œuvre, 1984), il existe deux voies susceptibles de mener à la vérité : " l'une est la Religion Droite et Pure instituée d'autorité par un organe prophétique d'élection providentielle, l'autre est la Religion Non-droite, sapientiale, mélangée, de mode spéculatif et intellectualiste ".

" Cette distinction, remarquons-le, n'est pas une condamnation pure et simple de la Religion Non-droite puisqu'elle constitue, malgré son infériorité à l'égard de la Religion Droite, un moyen d'accès à la connaissance Le vocabulaire employé par le Shaykh al-Akbar est ici très significatif. La notion de Religion Non-droite implique, géométriquement parlant, un rapport indirect à la vérité en ce qu'il passe par la "courbe", c'est-à-dire par les méandres de la dialectique et du discours. Celle-ci se différencie par conséquent de la "promptitude " de l'inspiration (al-wahy), qui relève même de l'instantanéité. "

Cette même distinction se retrouve dans le chapitre 167 des Illuminations de La Mecque entre les voies Droite et Non-droite où Ibn'Arabî évoque, sous une forme parabolique, deux voyageurs sur le chemin conduisant à la vérité.
in Patrick Geay, Hermès trahi, Dervy, 1996, pp. 196-197


" Spiritualiser le corps et corporifier l'esprit ", formule que René Guénon met en relation avec cette parole des saints (awliyâ) musulmans : " Nos corps sont nos esprits et nos esprits sont nos corps — ajsâmnâ arwâhnâ, wa arwâhnâ ajsâmnâ " dont le sens était directement rattaché à cet objectif ultime en alchimie qu'est la transmutation de l'être. La fonction éminente du corps en tant que base et milieu de l'Œuvre représentait de plus, aux yeux de R. Guénon, le " support " normal du travail initiatique.
(Patrick Geay, Hermès trahi, Dervy, 1996, pp. 58-59)

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Cette pérégrination, de tapisserie en tapisserie, rappelle la " pérégrination céleste " de Platon et la course du héros comme celles de Jason et des Argonautes) et ce motif sera repris dans l'Alchimie.

Il y aurait peut-être à rechercher plus finement dans les détails si cette pérégrination ne s'effectue pas à travers les sept sphères planétaires (il y a sept tapisseries) : La Chasse y trouverait alors ce que Jung nomme "une valeur exemplaire en ce qui concerne le déroulement et le symbolisme du processus d'individuation" (p.278, tome 1)

Ce pèlerin marchant pourrait être un surgeon de Perceval (les continuateurs de Chrétien de Troyes - Gerbert de Montreuil en particulier - ont joué sur l'étymologie du nom de Perceval, jeu courant pour les clercs du Moyen Age, et Perceval devient pour eux celui qui "perce" le "val", c'est-à-dire qui découvre le château caché du Roi-Pêcheur et perce ainsi le secret de sa propre histoire en même temps que celui du cortège du Graal.) : celui qui traverse la vallée et le fleuve (perce - val), qui passe sur l'autre rive (le héros alchimique), qui passe le pont (le verbe grec perô signifie traverser) pour rejoindre le Roi et la Reine réunis (symboles de la maîtrise de soi, de l'autonomie, de la connaissance de l'être total). Pour atteindre la vérité de l'au-delà, le mercure alchimique ou la pierre philosophale. Il porte trois costumes différents (peut-être un quatrième dans la tapisserie incomplète) pour marquer qu'il est un homme nouveau après chaque étape, cheminant le long de l'eau, élément de régénération corporelle et spirituelle.

A moins que l'on retienne une autre origine du nom Perceval où se lit une allusion à la lumière, en le rapprochant de " Clara Valus ", la " vallée claire ". Ainsi, notre chevalier sans tache (mais non sans reproche) de la Table Ronde, sortirait de sa sombre forêt du Pays de Galles où sa mère retient ses deux fils cachés loin du monde.
Perceval est aussi, selon l'écrivain qui décide de sa destinée, Peredur, Parsifal, Perlevaux ou Parsival.
Des sites consacrés aux noms et prénoms nous apprennent que le nom ou prénom Perceval, surtout porté en Bourgogne, Savoie et Dauphiné, a une origine incertaine (sans doute le nom celte Peredur). De nombreux spécialistes ont cherché son origine étymologique : ils ne sont parvenus à aucune explication probante.
Ses variantes sont : Percevault, Percevaut, Percevaux, Perceveaux, Perceveau, Percheval, et pour les formes italiennes : Percivalle, Percivalli (Piémont, Lombardie).

Et tote jor sa voie tint,
Qu'il n'encontra rien terïene
Ne crestïen ne crestïene
Qui li seüst voie ensaignier.


Chrétien de Troyes, Perceval ou le conte du Graal, v. 2976-2979
(Tout le long du jour, il suit sa voie, sans rencontrer créature terrestre, chrétien ou chrétienne, qui lui sache enseigner son chemin. Traduction L. Foulet)

A l'errance de Perceval le Gallois s'oppose, me semble-t-il, la rectitude du chemin du Pèlerin de La Chasse puisque sa marche le mène auprès du Couple royal.

Cette rivière longée, tantôt calme et silencieuse, tantôt agitée et bruyante, représente les passions nécessaires à tout être humain tout au long de sa vie, comme l'eau l'est pour les terres arrosées et irriguées en vue de récoltes futures.

Les Grecs avaient entouré la Terre d'un fleuve-océan nommé Ôkéanos, fils du Ciel et de la Terre, aîné des Titans et frère de Kronos. Ôkéanos et sa soeur-épouse Thétis avait engendré en tant que couple primordial tous les dieux et tous les êtres vivants. Le jardin d'Eden était lui aussi traversé par un fleuve.

Brigitte de Suède, Jacques le Majeur, Julien l'Hospitalier, Raphaël, Roch… sont généralement représentés avec l'habit de pèlerin : bâton, panetière et gourde.

 

Jean Perréal

 

De 1483 (première apparition de son nom, Jean de Paris, en Avril à Lyon) aux années 1491-1497, il est un peintre qui s'affirme et que l'on emploie dans les entourages royaux et princiers (Louis XI, cardinal Charles de Bourbon, la reine Charlotte de Savoie, la jeune Marguerite d'Autriche). Avec Charles VIII, il est nommé peintre de Cour en 1497. Il n'est encore que Jehan de Paris.

A son retour d'Italie fin 1499, il devient valet de chambre de la reine qui le prend sous sa protection. Et c'est alors, pensons-nous, que la reine Anne de Bretagne va le révéler à lui-même et lui indiquer la voie de l'artiste exceptionnel qu'il deviendra et qu'Howard et moi voulons 'ressusciter'.

Anne de Bretagne ne fut pas seulement une femme remarquable par ses talents politiques et par son énergie, elle fut aussi une des femmes les plus lettrées de son époque. Élevée par Françoise de Dinan, elle fut très tôt initiée à des connaissances étrangères à la plupart des femmes de son époque.
Anne de Bretagne était fort instruite, d'une vive intelligence et d'une grande clairvoyance. Sa bibliothèque paraît importante pour l'époque. Le Roux de Lincy (Vie de la reine Anne de Bretagne, 1860) relève qu'elle possédait dans sa bibliothèque " des livres manuscrits et imprimés en latin, en français, en italien, en grec et en hébreu. Onze cent quarante volumes, pris à Naples par Charles VIII, donnés à la reine... On s'étonnera peut-être de voir figurer dans la collection de la reine duchesse, des ouvrages en grec et en hébreu ; mais il ne faut pas oublier qu'elle avait étudié les deux langues savantes et que le caractère de son esprit était par-dessus tout sérieux. "

Possédait-elle la 'cabale hermétique' ? A-t-elle fréquenté les savants de son époque et parmi eux les alchimistes réputés ? A-t-elle eu une influence personnelle importante dans la décoration et les thèmes du tombeau de ses parents ? " Nous manquons de renseignements à cet égard, écrit Fulcanelli (Les Demeures philosophales, T.II, p.195), bien qu'il semble difficile d'expliquer pourquoi la grande cheminée du salon de l'hôtel Lallemant porte l'hermine d'Anne de Bretagne et le porc-épic de Louis XII, si l'on ne veut y voir un témoignage de leur présence dans la demeure philosophale de Bourges […] Quant à sa livrée, elle offrait les couleurs hermétiques choisies par elle : noire, jaune et rouge, avant la mort de Charles VIII, et seulement les deux extrêmes de l'Œuvre, noire et rouge, depuis cette époque. Enfin, ce fut elle la première reine de France qui, brisant résolument avec la coutume établie jusque-là, porta le deuil de son premier mari en noir, tandis que l'usage obligeait les souveraines à toujours le porter en blanc. "

Sa piété, voire peut-être son mysticisme, ont pu encourager la " quête " de son peintre attitré, Jean Perréal.
Le fameux pèlerinage Tro Breiz en Bretagne, le " pèlerinage des sept évêques " (Corentin à Quimper, Paul-Aurélien à Saint-Pol-de-Léon, Tugdual à Tréguier, Brieuc à Saint-Brieuc, Malo à Saint-Malo, Samson à Dol-de-Bretagne et Paterne à Vannes) a remplacé en partie à partir du 13ème siècle, le voyage devenu inaccessible vers la Terre Sainte.

Ce périple mystique est suivi par les gens du peuple comme par les nobles, telle Anne de Bretagne. Il leur permet "de fréquenter" par l'esprit et la foi plusieurs lieux saints : Rome et ses voies pavées, le Mont-Saint-Michel ou Saint-Jacques de Compostelle. Cette marche longue et difficile, parfois dangereuse, les entraîne aussi dans un espace vécu intemporel, marqué par la mort de certains pèlerins, sous les "signes" nombreux des croix, des chapelles, des sources et des fontaines sacrées, des étapes hospitalières, surtout monastiques.

L'étude attentive des tapisseries de La Chasse à la licorne

démontrera peut-être le rôle joué par Anne de Bretagne

auprès de Jean Perréal.

 

Dans la tapisserie 2 (La fontaine) : aucun chien ne porte les lettres 'A' et '3' de 'ANNE' ; le pèlerin n'est pas encore en marche, en quête, de ce côté-ci de la rivière (occupé par des animaux aux dents montrées qui représentent peut-être les ennemis de la France d'alors). L'artiste est certes célèbre, mais il ne s'est pas encore fait un nom…

 

Dans la tapisserie 3 (La traversée de la rivière) : les lettres 'A' et '3' apparaissent sur certains colliers. A l'extrême gauche, un homme nous paraît détacher, libérer le chien dont le collier porte les deux lettres. Nous voulons y lire le message suivant : Anne de Bretagne (dont la corde au profil noué signifie peut-être la 'cordelière') (ou est-ce Anne de France ? ) encourage l'artiste à devenir chaque jour dans sa vie d'homme et de créateur " le pèlerin de la Jérusalem Céleste ". En l'éduquant, elle lui trouve (peut-être) un nouveau nom : " Perro Réal ". Baptême au seuil d'une nouvelle vie. Il part, accompagné de deux chiens libérés dont l'un porte un collier aux lettres 'A' et '3'. C'est le début de son initiation, de sa quête spirituelle.

Dans la tapisserie 4 (La licorne se défend) : l'artiste chemine, tout à sa quête intérieure, ne regardant pas les événements qui se déroulent de l'autre côté de la rivière et auxquels il ne participe pas. A l'extrême gauche, un chasseur souffle dans son cor : l'étui de son épée porte l'expression 'AVE REGINA C', invocation à la Vierge Marie, Reine des Cieux. Le collier du chien juste devant lui, au même niveau de lecture horizontale, porte l'inscription que Margaret Freeman lit ainsi : 'OFANCRERE'. Nous la déchiffrons ainsi : 'Ô FRANCORUM REGINA', adresse à Anne de Bretagne, reine de France, revêtant ainsi la reine d'une gloire divine.

Dans la tapisserie 5 (incomplète) : nous ne saurons jamais où se trouvait notre pèlerin, mais ne doutons pas de sa présence.

Dans la tapisserie 6 (La mort de la licorne) : l'artiste semble parvenu au terme de sa quête intérieure, de son Grand Œuvre ; en tout cas de son œuvre picturale. Il est face à la reine et au roi accolés, unis, et il est aussi ce chien que le dauphin remercie et salue. Symbolisme royal célébrant l'Œuvre au Rouge, le stade ultime, la régénération qu'exprimera la tapisserie suivante où la licorne renaît dans son enclos, surplombée du grenadier aux grenades porteuses de couronnes.

 

 

Signes des doigts de reconnaissance entre initiés

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A comparer les visages, peut-on dire qu'il a vieilli ? Ses cheveux ont-ils blanchi ?

 

Examinons les deux chiens qui l'accompagnent :
— dans les tapisseries 3 et 4 : ils vagabondent, libres, les deux pattes antérieures levées en signe de liberté et de jubilation

— dans la tapisserie 6 :
- l'un, au premier plan, se tient droit sur ses quatre pattes, la tête haute, libre, en érection semble-t-il.
- l'autre, à moitié caché par son compère, tenu en laisse, baisse la tête près du pied droit de notre " pèlerin ", comme en posture de soumission.
Peut-on en conclure que le premier chien illustre la maîtrise de soi nouvellement acquise et l'aboutissement positif de la quête ; que le second chien évoque les instincts " animaux " soumis, les cinq sens maîtrisés ?

Autre preuve de ce Pèlerin devenu Homme 'véritable' : l'un des deux chiens qui l'ont accompagné offre à notre regard un sexe bien visible, signe d'une 'résurrection' (sous l'apparence d'une 'érection').

Il est possible de penser que le couple de chiens qui accompagnent la "pèlerin" dans sa quête d'individuation est formé d'une femelle et d'un mâle (comme le couple royal). Ainsi se trouvent réunis l'anima et l'animus, en bonne harmonie (l'anima étant la conciliatrice des opposés). Ils représentent la plénitude hermaphrodite du Soi, la totalité du Soi, sous son aspect féminin-masculin.

Nous n'avons que 3 représentations de celui que nous nommons " le pèlerin ".
Il doit être aussi dans la tapisserie 2 : est-ce l'homme (l'apôtre Jean) qui regarde " Judas " ou celui (" Matthieu ") qui se tient derrière " Pierre " qui lui demande (le doigt levé) de se mettre en route ?
Il se devait d'être dans la tapisserie 5, mais nous ne le verrons jamais.

 

Mircea Eliade, Le Sacré et le profane, Gallimard, 1965 - extraits

" Le chemin et la marche sont susceptibles d'être transfigurés en valeurs religieuses, car tout chemin peut symboliser le " chemin de la vie ", et toute marche un " pèlerinage ", une pérégrination vers le Centre du Monde. " p.155

" L'initiation comporte généralement une triple révélation : celle du sacré, celle de la mort et celle de la sexualité. " p.159. La Chasse nous présente tout cela : la Genèse, la Passion du Christ et la sexualité dans le mariage de la reine et du roi et de la virilité 'retrouvée' du chien.

" D'une religion à l'autre, d'une gnose ou d'une sagesse une autre, le thème immémorial de la seconde naissance s'enrichit de valeurs nouvelles, qui changent parfois radicalement le contenu de l'expérience. Il reste, pourtant, un élément commun, un invariant, que l'on pourrait définir de la façon suivante : l'accès à la vie spirituelle comporte toujours la mort à la condition profane, suivie d'une nouvelle naissance. " p.170

 

Selon Antoine Faivre, Le Rosarium Philosophorum de l'alchimiste, médecin, grand voyageur et diplomate catalan Arnaud de Villeneuve (v.1235-1311) semble être le premier à utiliser la symbolique de la Passion du Christ comme " exemplum du processus transmutatoire ".

Dans l'utilisation de ce thème, songeons à l'ouvrage Les Noces chymiques de Christian Rosencreutz en l'an 1459, de l'auteur Johann Valentin Andreae, paru en allemand en 1616 à Strasbourg, bien postérieur donc à nos tapisseries, qui présente des noces alchimiques et mystiques. Son auteur lui-même qualifie son livre de 'ludibrium', c'est-à-dire une fiction ou une plaisanterie, comme les deux comédies qu'il avait écrites auparavant vers 1602-03 à 'l'imitation des acteurs anglais'. La vague et le mystère rosicruciens ont monté en puissance par les parutions successives de trois écrits : la Fama Fraternitatis (Gloire de la Fraternité) en 1614, la Confessio Fratrum Rosae-Crucis (Confession des Frères de la Rose-Croix) en 1615 et Les Noces Chymiques en 1616.

Dans un récit divisé en Sept Jours comme le livre de la Genèse et le nombre de tapisseries des deux tentures de La Dame et La Chasse, le héros, Christian Rose-Croix, au long de ce roman initiatique, entreprend son périple le soir du Vendredi Saint pour l'achever le mercredi après Pâques.

Suivons l'analyse qu'Antoine Faivre consacre (Accès à l'ésotérisme occidental, T.1, Gallimard, 1986 et 1996-pp.200sq) à ces 'Noces chymiques' comme " pèlerinage de l'âme " : " L'ouvrage se présente sous la forme d'un septénaire qui figure assez distinctement les opérations traditionnelles du Grand Œuvre. L'action décrit ainsi en sept actes - les 'journées' - les sept paliers de la transmutation alchimique. Avant la réalisation finale, une épreuve particulièrement pénible attend l'adepte, qui doit assister à la décapitation des personnes royales. Mais ensuite apparaît le phénix, symbole de la résurrection ; son œuf est découpé par un diamant, son sang ressuscite le couple royal dont les noces conféreront à Christian le titre de 'Chevalier de la pierre d'or'. Tel est le but final du périple, l'ensemble des sept paliers représentant le pèlerinage lui-même. " Cette pérégrination dans Les Noces chymiques suit les phases successives bien connues de l'alchimiste : de la Nigredo à la Rubedo via l'Albedo.

Ce pèlerinage est un " voyage intérieur dont la description emprunte à l'alchimie traditionnelle sa structure et son symbolisme. Le livre nous invite à descendre en nous-mêmes en nous transformant. "

" Ces Noces chymiques sont surtout des noces alchimiques et mystiques ; sous le voile éclairant du symbole, elles décrivent les processus de la montée de l'âme vers Dieu. On trouve presque à chaque page des références au Grand Œuvre spirituel ... L'eau, souvent symbole du Mercure, figure la dissolution ; nombreuses, dans les thèmes et illustrations alchimiques, sont les représentations de bateaux voguant sur une mer agitée, ou d'îles entourées de fossés remplis d'eau qu'il s'agit de traverser comme tentent de le faire les adeptes des Noces. Thème, qui, à l'époque, s'insère aussi dans une mode, celle des voyages lointains - l'Eldorado - et de la mythologie - l'Odyssée, l'expédition des Argonautes. Mais au-delà des représentations imagées il y a les étapes, les processus du pèlerinage de l'âme. Pèlerinage en effet, puisque l'adepte, qui sait où il veut aller, cherche à retrouver le lieu où l'âme s'unit à son Dieu. "

Ce texte d'Antoine Faivre pourrait être dans ses grandes lignes la description de La Chasse à la licorne. C'est ainsi que je regarde la 'marche en avant' énergique de celui que je nomme 'le Pèlerin' dans le silence, la sérénité, la concentration et la détermination. Symboliquement, il côtoie bien des épreuves, rencontre la mort et parvient enfin devant la Reine et le Roi unis comme en des Noces.

Comme les Noces chymiques, La Chasse cherche à " lier le macrocosme et le microcosme, ou l'univers et l'homme, par l'affirmation de la position centrale du Christ à l'intersection de ces deux vecteurs, ce qui a pour conséquence de faire pénétrer la vérité de l'Evangile dans la création toute entière. (thèse de John Warwick Montgomery citée par Faivre p.206sq). Réaliser l'unité de la connaissance, concilier la totalité du savoir avec la totalité de la foi.

" Il s'agit pour l'âme de monter vers Dieu par la connaissance et le déchiffrement des 'signatures' éparses dans le monde, de même que la grâce divine et la descente de Dieu en l'homme nous permettent de comprendre ce monde et de hâter en même temps sa réintégraton. Pèlerinage à double sens ; il propose deux directions simultanées : partir de la grâce divine en nous, ou de la connaissance de Dieu pour comprendre la Nature, la transformer, et partir de cette Nature dont les arcanes nous conduisent, de palier en palier, à la connaissance de Dieu. " (p.209)

La quête du pèlerin Perréal de La Chasse est placée sous le signe de la Croix, loin de tout statisme, de tout repos définitif. La Licorne dans l'enclos ne se prépare-t-elle pas à repartir, puisqu'à bien regarder, elle n'est pas enchaînée ?

" L'allégorie alchimique dont Christian est le centre traduit simultanément l'œuvre salvatrice in nobis (le pèlerinage de Christian) et pro nobis (le mariage du Roi et de la Reine), mais nous assistons moins au mariage subjectif du héros et du Christ qu'à la description de l'histoire du salut et de l'union du Christ avec l'Eglise. " Cette dernière formule convient-elle à La Chasse ?

Ioan Peter Couliano dans Eros et magie à la Renaissance (1484, Flammarion, 1984) parle de " farce " des rose-croix (p. 247 et 261)

 

Deux extraits du livre de Bernard Roger, A la découverte de l'alchimie (Dangles, 1988) pour interpréter différemment la marche de notre Pèlerin :

A propos de François Rabelais qui fait s'arrêter les douze nefs de Pantagruel (parties sur les mers à la découverte de la Dive Bouteille) au royaume de d'Entéléchie : " Cette identification - par un humanisme du XVIe siècle évidemment fort au fait des sciences de son temps - de la quintessence des alchimistes avec l'universelle entéléchie d'Aristote n'aurait-elle pas dû faire réfléchir tous ceux qui n'ont su voir dans l'alchimie qu'une infantile préchimie, ou ne trouver dans ses traités que des allégories théorisant les étapes d'une ascèse spirituelle, voire d'un simple processus d'individuation ou de libération psychologique ?

L'entéléchie est ce qui, dans la nature, préside à l'accomplissement de tout être, à quelque règne qu'il appartienne (minéral, végétal ou animal) ; dans le domaine des productions de l'esprit et de la levain de l'homme, c'est par exemple ce qui amène le peintre, le poète, le musicien, l'architecte, le savant ou l'artisan vers la plénitude de son art, de sa technique ou de sa science ; dans tout cheminement initiatique, c'est ce qui guide le récipiendaire vers la 'lumière', dans tout processus de guérison ce qui ramène l'organisme malade à son équilibre naturel. Agent de tout progrès en même temps que résultat final de ce progrès, l'entéléchie est la fin du processus, contenue depuis le début et dans tout le cours de son développement, à la façon dont un arbre est contenu tout entier dans sa semence et dans son fruit. " (p.11)

" Sur les chemins d'Europe, le pèlerin, extrait de sa terre natale osait de multiples épreuves, s'enrichissait de mille expériences, images et d'aventures, dans la tension constante de son désir vers un lieu où reposait l'apôtre. Comment aurait-il pu revenir de son voyage identique à celui qu'il était en partant ? Le but le plus noble de tout pèlerinage a toujours été l'illumination de la conscience du pèlerin. Le voyageur de Compostelle regagnait son foyer animé de la présence, au cœur de son intimité profonde, du lumineux saint Jacques lui-même. Accrochée à son chapeau, la coquille ou marelle était le digne de cette clarté interne.
D'une façon analogue, par les sentiers du petit monde minéral, le pèlerin du Grand Œuvre dirige sa marche vers un lieu sacré qui est aussi un tombeau, dans lequel a lieu le mariage du 'roi' et de la 'reine' auxquels on donne les noms de 'soufre' et de 'mercure'. Comme l'église où fut inhumé le corps de l'apôtre, ce lieu terrestre est en communication avec le ciel. " (p.112)

 

" — Un autre m'attend. Je vais à lui.
Il se remit en marche.
— Qui ? demanda Henri-Maximilien stupéfait. Le prieur de Léon, cet édenté ?
Zénon se retourna :
Hic Zeno, dit-il. Moi-même. "

Marguerite Yourcenar, L'Œuvre au noir, Gallimard, 1968

 

Au Moyen-Age, les pèlerins offraient souvent un cierge, nommé " mon gros et long ", un cierge de leur taille et de leur grosseur. Ad mensuram corporis, secundum longitudinem. Un cierge-icône de leur stature, à leur " ressemblance " quasi organique. " Je suis parti entier de chez moi ; entier je suis arrivé ; entier je veux revenir à mon logis " est le " message " de ce don anthropomorphique, le vœu formulé auprès de son Dieu ou de son saint par le pèlerin, toujours inquiet des dangers de la route, des aléas de son corps même. Ce cierge représentant le corps dans son intégrité, dans son intégralité, est la marque d'une foi conquérante et revivifiée, d'une fierté, tant extérieure qu'intérieure, d'une joie indicible que l'imposante statue de cire a pour objet de prouver, d'illuminer, de glorifier. " Ceci est mon corps, ceci est mon sang, mes larmes aussi, tout ce qui est en moi, tout ce que j'ai aussi expulsé et que j'expulserai encore. "

Transsubstantiation et communion.

Apparition au sanctuaire dans tout son apparat. Cette masse de cire, importante, onéreuse, est à la hauteur de la " vérité " narcissique du cheminement, long et difficile, dangereux et glorieux.

Le pèlerin, parvenu sain et sauf au sanctuaire, en " terre sainte ", peut s'identifier à ce dieu, à ce saint en une ostentation narcissique que redouble le stature du cierge à son " image ". Mais aussi, humilité ascétique car notre pèlerin n'est qu'un être humain face à son dieu, à son saint, qui a davantage souffert que lui et que la mort a déjà emporté. Ce n'est qu'un don de cire malléable et fondante, mais pour un vœu durable et tenace.

Un symbole de lumière qui éclaire les ténèbres.

La corne de la licorne, détachée de la tête, tenue verticalement, dont la spirale ascendante souligne la volonté d'élévation de l'âme, pourrait être ce cierge votif de belle prestance et de grande valeur que notre pèlerin vient de déposer auprès du fils de son dieu (l'index tendu désignerait le donateur), avant de s'avancer vers les hôtes du lieu.

La plasticité de la cire est celle de la chair et de tout le gréement organique intérieur ; sa solidité après séchage, l'armature osseuse ; sa couleur, celle de la peau humaine que les éléments météorologiques (soleil, vent, froid…) ont pétri ; la chaleur de sa flamme, celle que les mains lui ont transfusée, ont partagée avec elle pour amadouer la forme et lui donner l'assurance nécessaire lors de la rencontre avec le dieu ou le saint.

Le cierge déposé est un radeau de paganisme sur le fleuve du christianisme. La cire offerte est un matériau du désir qui nous meut.

 

Quelques extraits du livre de Barbara Glowczewski, Rêves en colère avec les Aborigènes australiens (Plon, 2004) décrivent des correspondances intéressantes liées au labyrinthe et à l'initiation.

page 56

" Pendant des décennies, assistés de leurs équipages asiatiques, les perleurs allaient mettre en esclavage hommes, femmes et enfants du littoral pour les contraindre à plonger.

Les coquilles perlières étaient très prisées par les Aborigènes pour une tout autre raison que la perle rare qui s'y développe parfois. Quand ces coquilles atteignaient la taille d'une main, on les ouvrait comme des huîtres pour séparer les deux faces, la plus plate était suspendue à la ceinture des garçons et des filles en guise de tablier pubien, signe de leur passage à l'âge adulte. Certaines coupelles de nacre, appelées riji, étaient gravées de symboles ésotériques dans des cérémonies qui accompagnaient les cycles saisonniers des créatures de la mer, baleines, dauphins ou pastenagues.

Objets sacrés, utilisés pour guérir ou faire tomber la pluie, les coquilles circulaient dans le secret de certains échanges rituels. Aujourd'hui encore, même les petits morceaux de coquilles cassées sont recherchés par les Aborigènes éloignés de la mer qui convoitent la blancheur polie de la nacre aux reflets brillants, comme porte-bonheur pour séduire les élus de leur cœur ou gagner aux cartes.

Les coupelles gravées de labyrinthes à angles droits, dont les lignes enduites d'ocre rouge s'enchevêtrent et se chevauchent sans jamais se croiser, reproduisent les traces sinueuses et angulaires laissées sur le sable par la mer qui se retire.


Ces lignes grattées dans la nacre avec des arêtes de poisson en disent beaucoup plus long qu'elles ne paraissent. Elles sont la marque du flux et du reflux de forces actives de la nature qui participent de la fertilité des hommes, de la faune et de la flore, de la pluie et du vent, de l'équilibre du cosmos qui lie la mer et la terre, l'air et les nuages, le ciel et le souterrain, les règnes du vivant et du minéral.

Les lignes sinueuses et angulaires sont la trace pensée comme image habitée de ce qui meut les ancêtres de toutes les formes de la vie, des êtres éternels de l'espace-temps du Rêve, Bugarrigarra.

Les coquilles gravées circulaient sur les deux tiers du continent depuis au moins plusieurs siècles avant la ruée des perleurs, déclenchée vers 1860 au sud de la péninsule Dampier et étendue à la région avec l'établissement du petit port de Broome en 1883. Les groupes vivant à plus de mille kilomètres de la côte ont consigné dans leurs chants sacrés ces coupelles de nacre précieuses comme provenant de l'eau salée du Nord-Ouest."

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" Quand l'initié reçoit sa coquille perlière riji, dont la nacre est incisée de motifs ésotériques et protège sa marque d'initié, un père ou un oncle l'envoie en brousse pour une quête solitaire qui peut durer des semaines.
Il doit se noircir le visage de charbon de bois et trouver de la graisse leda de la raie pastenague, du poisson-souffleur qui se gonfle comme un ballon, du serpent-tapis ou de l'opossum. L'initié devient goola goola en étant enduit de cette graisse et couvert d'ocre rouge. Vêtu de la ceinture de poils d'opossum avnec la coupelle de nacre en tablier, bindha bindha, et décoré de colliers lingmeree, il est installé assis dans un lit d'écorce baggal préparé par sa mère ou sa tante paternelle.

Un homme est complètement initié maamboongana quand il devient un gendre darlu : il peut se peindre lui-même avec son ocre rouge, autonome vis-à-vis des anciens, il est libéré de tous les tabous alimentaires dans un rite commun à de très nombreux groupes australiens consistant à frotter de la graisse animale sur sa bouche et il obtient une épouse par promesse ou par capture.

Aujourd'hui, toutes les étapes de l'initiation sont souvent ramassées en deux temps, vers dix ans et vers dix-huit ans, ou bien en une seule fois, si la famille du jeune homme a attendu plus longtemps.
Des hommes âgés, qui n'ont pas été initiés du fait de leur jeunesse missionnaire ou citadine, choisissent parfois de passer par certains de ces rites, mais il faut que des anciens, leurs pères ou oncles maternels de " peau ", décident de la mise en œuvre de telles initiations, car c'est en initiant les autres que l'on s'affirme comme initié. "

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" Au moment de partir en réclusion en brousse, quatre novices étaient entièrement enduits de noir, parés de bandeaux en laine rouge et vêtus d'un simple tissu blanc attaché entre les jambes.

Au bout de six semaines, une centaine de participants vinrent camper sur le terrain pour préparer par des chants et des danses la sortie de réclusion des quatre nouveaux initiés.

A leur arrivée, l'assemblée fut frappée d'émotion : corps, visage et cheveux entièrement couverts d'ocre rouge, une coupelle de nacre rifi à la ceinture et la flèche de bois larra fixée dans un bandeau sur la nuque, les jeunes Yawuru se greffaient sur la profondeur du temps.

Cette réouverture du terrain initiatique de Garnin alla relancer à Broome les initiations yawuru et les autres activités de la Loi ancestrale, preuve exigée par le Tribunal du Native Title pour démontrer la continuité du lien social et culturel d'attachement à la terre conditionnant l'éventuelle restitution aux Yawuru de ce fragment de littoral qui a consacré des générations d'initiés. "

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" Aujourd'hui, les groupes du désert qui reçoivent les coquilles gravées associent les motifs angulaires à des initiateurs ancestraux appelés Dingari ou Tingari, dont les tribulations relient sous forme de maillages tous les points d'eau du désert jusqu'à l'océan Indien : le réseau de leurs parcours correspond au réseau souterrain des drainages interconnectés.

L'eau des sources potables et de la pluie désignée même mot, ngapa, est pensée comme se déplaçant, c'est pourquoi, disent les Aborigènes, l'eau autrefois potable en un point peut devenir salée quand les Européens y forent leurs puits.

La relativité de l'accès à l'eau selon les saisons et le passage du temps est en tension avec la nécessité de stabiliser l'accès aux ressources pour survivre ; d'où la nécessité de l'intervention humaine, notamment par des rites qui permettent à la fois de mémoriser et d'agir sur cet équilibre fragile.
En effet, les Aborigènes disent que certaines sources s'assèchent quand les hommes ne s'en servent pas, alors que les déluges sont souvent provoqués par la colère des esprits de la terre quand les hommes transgressent la loi. "

 

Voir aussi les pages consacrées à

Carl Gustav JUNG

l'alchimie

 

 

 

 

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